"Juillet 2007. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel annoncent à Toulouse la nomination de Louis Gallois à la tête d'EADS. Thomas Enders a droit à Airbus. C'est la fin de la « bicéphalité » tant décriée. Trois mois plus tard, le conseil d'administration adopte des règles « normales » de gouvernance. L'arrivée d'administrateurs indépendants est censée empêcher les blocages nationalistes. Sur le papier, tout est en place pour mettre fin au conflit franco-allemand, qui déchire le fleuron industriel européen. Un an après, où en est-on ? Paris et Berlin ont rangé leurs couteaux, malgré une méfiance persistante. Et même si l'enquête en cours sur les délits d'initiés peut encore les déstabiliser, les dirigeants peuvent se consacrer à l'essentiel : achever la restructuration d'Airbus, et préparer l'avenir.
Gallois et Enders, l'attelage improbable
Rien ne prédestinait Louis Gallois, soixante-quatre ans, gascon, énarque et grand commis de l'Etat, et Thomas Enders, quarante-neuf ans, fils de berger, ancien parachutiste de la Bundeswehr, diplômé de UCLA, à se retrouver un jour dans le même cockpit. Et pourtant ! De l'avis général, l'attelage fonctionne. Si les relations ne sont pas chaleureuses, l'agacement réciproque du début a laissé place à une certaine estime. « Nos relations sont aussi bonnes qu'elles peuvent l'être », soutient Thomas Enders. « Au niveau du comité de direction, l'atmosphère a complètement changé, assure de son côté Louis Gallois. L'opposition entre camp allemand et camp français n'apparaît plus. »
Si Tom Enders a dû renoncer à la coprésidence d'EADS, ses nouvelles fonctions à la tête d'Airbus lui ont donné ses galons de chef d'entreprise. Et - si tout se passe comme prévu - il succédera à Louis Gallois en 2012. Homme d'action plus que diplomate, il ne cache pas son plaisir de s'être éloigné des intrigues parisiennes d'EADS. Louis Gallois et lui continuent néanmoins d'échanger sur tous les sujets. « Nous ne parlons pas seulement d'Airbus, mais aussi d'EADS, confirme le Français. Et j'ai un niveau d'informations sur Airbus comparable au sien. »
Même si, vu de la « République de Toulouse », le patron au quotidien reste le numéro deux français, Fabrice Brégier, Thomas Enders a su s'y faire accepter. « Quand je suis arrivé, on croyait que Fabrice et moi allions nous entretuer », reconnaît-il. Le dirigeant allemand a pris soin d'asseoir son image dans le monde, avec un discours axé sur l'internationalisation de l'avionneur. C'est sans doute la plus grande différence stratégique avec un Louis Gallois davantage « garant » de l'identité européenne et de l'équilibre franco-allemand d'EADS.
Le groupe deviendra-t-il une multinationale comme les autres, s'implantant la où sont les clients et les compétences aux meilleurs coûts ? Ou privilégiera-t-il toujours les intérêts des quatre pays fondateurs d'Airbus, France, Allemagne, Royaume-Uni et Espagne, au détriment de sa compétitivité ? Dans son plan 2020, Louis Gallois préconise une répartition de l'activité à 50-50 entre l'Europe et le reste du monde, en développant le service, la défense et la sécurité. Or, là encore, le débat n'est pas tranché entre défenseurs d'une stratégie de conglomérat à la Boeing et partisans d'un recentrage sur l'aéronautique civile.
L'autre chantier non réglé, c'est la remise en cause du pacte d'actionnaires, qui donne à Lagardère et Daimler un droit de veto, malgré des participations modestes et en baisse. Faute de repreneurs nationaux et compte tenu de la faiblesse de l'action, Lagardère et Daimler resteront au moins jusqu'en 2010. Mais leur désengagement est inévitable. Paris et Berlin devront alors trancher sur deux points : l'ouverture du capital à des investisseurs étrangers et les moyens permettant de préserver leurs intérêts.
L'A400M malade, l'A380 convalescent
L'avion de transport militaire A400M peut-il couler EADS ? « Bien sûr que non, s'offusque Louis Gallois. EADS a les moyens de surmonter le problème ». Le problème ? Son cauchemar plutôt, comme il l'a confié en interne : 1,4 milliard d'euros de provisions (ce n'est peut-être qu'un début), un motoriste au banc des accusés et un premier vol repoussé sine die ! A tel point que certains dirigeants militent pour l'arrêt pur et simple du programme. Après tout, si jeter l'éponge coûte moins cher que poursuivre... « On continue », a tranché Louis Gallois. Ce qui ne l'a pas empêché de laisser planer la menace. Tactique de négociation pour obtenir l'abandon des pénalités de retard ? L'armée française doit remplacer ses Transall à bout de souffle. Paris est donc prêt à des concessions. Avec Berlin, c'est plus tendu. « Un contrat est un contrat », martèle le ministre de la Défense, Franz Josef Jung. Quant aux Anglais, qui avaient longtemps balancé en faveur du C-17 de Boeing, le pragmatisme l'emportera, comme toujours. En attendant, la production est suspendue. Et le premier vol n'interviendra pas avant avril, au mieux.
« Mes priorités pour cette année ? L'A380, l'A380 et l'A380 », martèle de son côté Tom Enders. Le PDG d'Airbus exagère à peine. Un an après la livraison du premier exemplaire à Singapore Airlines, l'avion géant reste le risque principal pour l'avionneur et son patron. Ce dernier n'a-t-il pas parié « un magnum de champagne » que 12 A380 seraient livrés en 2008 et 21 en 2009 ? Une déclaration accueillie avec incrédulité. « Enders a annoncé ce plan de route en juillet, avant d'avoir appris les dernières difficultés, affirme-t-on en interne. Au mieux, on sortira 10 appareils cette année et 15 à 16 en 2009. »
Alors, qui croire ? Le calendrier confidentiel prévoit bien quatre livraisons d'ici à la fin de l'année - une le 15 novembre pour Emirates et trois autres, les 12, 20 et 27 décembre pour Emirates et Qantas -, ce qui permettrait d'atteindre les 12 appareils. Il prévoit aussi 21 livraisons en 2009 - 6 pour Emirates, 4 pour Singapore Airlines, 4 pour Qantas, 3 pour Air France (dont le premier en août), 3 pour Lufthansa et 1 pour China Southern - au rythme de 4 avions au premier trimestre, 5 au deuxième, 6 au troisième et 6 voire 7 au quatrième. La cadence de croisière de 10 appareils par mois serait atteinte fin 2010, avec un total de 34 livraisons sur l'année. Mais, comme le reconnaît Tom Enders, « nous ne pouvons pas exclure de nouveaux retards ». Et il ne suffit pas de livrer à la date prévue, comme l'illustre la mésaventure du premier A380 d'Emirates, victime d'une panne mystérieuse moins d'un mois après sa mise en service. Un ouvrier trop pressé avait oublié un outil dans une armoire électrique...
La restructuration d'Airbus à mi-parcours
Le directeur des ressources humaines d'Airbus était, paraît-il, un peu gêné en présentant, voilà deux mois, le dernier bilan du plan « Roc » de réduction des effectifs. Sur les 4.419 suppressions de postes annoncées fin 2006, seuls 713 salariés avaient accepté de partir au 31 juillet : 300 dans les usines françaises, 64 au siège toulousain, 213 au Royaume-Uni, 135 en Espagne et... un seul en Allemagne ! Le résultat du tir de barrage du puissant syndicat IG Metall, qui a bloqué jusqu'à l'été dernier l'application du plan outre-Rhin. Ce qui n'empêchait pas Airbus de communiquer sur le chiffre autrement plus flatteur de 2.063 suppressions de postes à fin juillet, en y ajoutant les départs naturels non remplacés, ainsi que les départs programmés, mais pas encore effectifs. On est donc très loin des 10.000 suppressions de postes du plan Power 8, dont la moitié chez Airbus.
Même chose pour le projet « Zéphyr » d'externalisation de sites. Sur les sept usines mises en vente, deux seulement ont trouvé preneurs : Laupheim, en Allemagne, et Filton, en Grande-Bretagne. Et encore, sur ce dernier site, Airbus conserve sous son aile 5.000 des 6.500 salariés, le repreneur GKN n'ayant pas voulu assumer la charge du plan de retraites. Quant aux cinq autres, dont les usines françaises de Méaulte et Saint-Nazaire Ville, elles ne quitteront le giron d'Airbus au 1er janvier prochain que pour rejoindre celui de deux nouvelles filiales d'EADS, la française Aerolia et l'allemande Premium Aerotech, en attendant d'hypothétiques investisseurs.
Et pourtant, les économies attendues sont au rendez-vous. Sur les 2,1 milliards d'euros d'économies recherchées d'ici à 2010, Airbus aurait déjà trouvé 991 millions à fin août, auxquels devraient s'ajouter 300 à 400 millions d'ici à la fin de l'année. Après deux ans dans le rouge, l'avionneur devrait boucler l'année 2008 avec un bénéfice d'exploitation de 1,1 milliard d'euros. De quoi s'interroger sur l'utilité de Roc et Zéphyr, présentés comme les deux piliers d'un plan Power 8 dont on sait déjà, par ailleurs, qu'il devra être suivi de 2011 à 2013 d'un plan « Power 8 + » de 350 millions d'euros."
Source : http://www.lesechos.fr/info/enquete/4795760.htm?xtor=RSS-2059
EADS, Power 8, Flyintelligence.com
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